2. Méthode
"Qu'est-ce que tu gribouilles ?" (interrogation d'un détenu concernant ma prise de note compulsive, au tout début de ma recherche)
Observations in situ
Présentation de la bibliothèque aux arrivants du bâtiment D2. Créneau de deux heures, toutes les semaines le mercredi matin. Une quinzaine de détenus descendent. La plupart connaissent déjà la bibliothèque et me demandent le jeu de cartes, ils s’installent en petits groupes autour des tables, sur les fauteuils et jouent au 8 américain ou aux dames. Jules, un des deux auxis bibliothèque, a confectionné des jeux de dame en dessinant un damier sur des bouts de carton qu’il a recouvert de filmolux et en collectant des bouchons de bouteille verts (Volvic) et bleus (Evian) pour les pions. Ils improvisent des tournois de dames sur trois tables avec un système de montée-descente que Jules supervise, le livre des règles à la main. Je lui demande si le gagnant repart avec un prix. Il rit et me pointe une pile de vieux France Football (saison 2019-2020) : « On allait les désherber de toute façon ». William, l’autre auxi, a descendu le dernier CD de Ninho, JEFE, qu’il diffuse sur un petit poste de mauvaise qualité. Deux détenus viennent me voir, l’un pour un dictionnaire français-arabe, des feuilles et un stylo. Sans doute pour écrire un mot à la détention. L’autre pour une recommandation de lecture en géopolitique « un truc qui t’aide à comprendre le monde tu vois ? J’avais lu le truc de la CIA mais c’est trop compliqué ». On passe une dizaine de minute dans les rayonnages, il prend La guerre des métaux rares de Guillaume Pitron. Pendant que je discute, un détenu vient voir discrètement si la surveillante scolaire est dans son bureau (il y a une vitre entre son bureau et la bibliothèque). Il demande à William : « chef tu sais où on peut fumer tranquille ? C’est cramé dans le couloir. La semaine dernière on s’est fait engueuler » Il leur conseille de se mettre dans le couloir mais derrière la porte de la bibliothèque qui est laissée ouverte « mais pas plus de deux derrière la porte sinon ils vont vous voir ». (Extrait journal de terrain)
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